Les ombres s’allongent sous mes roues, une jolie balade s’achève, ma route suit une rivière, je laisse filer mon vélo et mes pensées sur les méandres du bitume. A la faveur de la fatigue peut être, il m’apparaît comme une évidence qu’un coureur cycliste et un cours d'eau peuvent receler des analogies de comportement et de destin. Allez ! Au risque de passer pour un illuminé je vous livre mes cocasses pensées du moment :
Un petit ruisseau au fond d’un valat, seul à bord, il est le maître des lieux, son débit tantôt impétueux, tantôt modeste est le strict reflet de sa forme saisonnière; son agitation quant à elle, s’adapte au dénivelé du terrain. A la sortie d’une courbe un autre ruisseau vient à l’encontre du premier pour y entamer un terrible duel qui conduira l’un à la victoire avec des forces décuplées, l’autre à l’oubli comme l’humble porteur d’eau. Ainsi, peu à peu au fil des kilomètres parcourus, à la lumière de ses mémorables débordements, une réputation se forge faite de crainte et de respect, un champion se hisse au dessus de la multitude, rien ne l’arrêtera jusqu’à la mer. Cette règle universelle, c’est la loi du plus fort, les géographes l’ont adoptée pour baptiser une rivière en aval d’un confluent.
Le Bleymard, un jour de fin septembre 2009, A mi parcours de mon périple, je fais une pause au pied du village, juste après le pont qui enjambe un joli ruisseau, il affiche une forme surprenante après un été particulièrement sec, et un automne qui prend le même chemin. Tout en dévorant mon casse croûte j’observe avec satisfaction ses eaux limpides qui descendent du Lozère. Me voilà reparti en direction du COL DES TRIBES, manière de digérer, je passe sur le Lot en amont du confluent avec "mon ruisseau", et là stupéfaction : C’est une simple gangue de boue humide que même les batraciens ont fuie ! Les géographes auraient-ils fait une exception à la règle ? Cette « découverte » me travaille sur le chemin de retour :
Primo la confiance aveugle que j’avais envers mon instituteur de 2ieme année de communale se lézarde. Ah si je tenais ce monsieur Trubbac qui m’a fait apprendre à coups de règle sur mes doigts rongés d’anxiété, que le Lot était le principal affluent de la Garonne.
Deusio, en quoi la Garonne est-elle plus grosse que le Lot ? D’ailleurs elle vient d’Espagne et tout le monde sait qu’il y pleut presque jamais !
Tertio, va falloir que je surveille tout ça de très près maintenant, faudrait pas que le Gardon de St Jean soit le principal affluent de la Salendrinque, le Tarn celui de la Jonte ; je vais me rendre à Codolet là où le Rhône se jette dans la Cèze ! Bon sang en Cévennes y’a du travail !
Mais qui connaît le ruisseau de la Combe Sourde ? C’est à lui qu’on a volé la notoriété, tout en dopant les caractéristiques de son voisin. Quoique le Lot n’est pas complètement fautif, tout cela s’est fait à l’insu de son plein gré ! Sachez en tout cas, si vos pas vous mènent à Bordeaux, que les eaux qui mouillent les quais de la ville sont celles de la Combe sourde.
J’en vois qui se frottent déjà les mains, ce sont les marchands de pancartes, les éditeurs de cartes et autres libraires, parce que le Lot c’est une institution, sur ses 481 km ça en fait des panneaux, des enseignes, des villages, des villes et même deux départements à renommer. Mais voilà, là on met le doigt dans un engrenage dont on ne mesure pas la fin, il ne faudrait pas que d’autres fleuves soient traités avec la même légèreté, il va falloir vérifier tout le réseau hydrologique de France et de Navarre, changer les numéros des départements, modifier l’enseignement de la géographie, et puis au niveau linguistique le département de la Combe Sourde et Garonne ce n’est pas terrible…
Ah des solutions il en existe : Il suffirait de déplacer le panneau «Lot» à l’entrée du Bleymard et de le fixer sur l’autre pont au centre du village, en fait le Lot prendrait sa source dans le massif du Lozère comme le Tarn et l’Altier, le ruisseau dévalant les flancs du Goulet redevenant un quelconque affluent. On pourrait également procéder comme avec les Gardons, il y en a une demie douzaine, pas facile pour s’y retrouver in situ, mais tellement plus simple pour le géographe !
Le Lot ne mérite probablement pas de porter la tunique jaune des cours d’eaux de la région, ne serait-ce qu’à cause de son éphémère et discrète apparition en Cévennes. Chambouler tant d’années d’ordre établi pour la manifestation de la vérité, cela en vaut-il la peine ? C’est acquis, la vie du Lot restera celle d'un long fleuve tranquille, sans éclabousser sa réputation, sans faire de vagues, quant à l’infortuné Combe sourde il restera modestement le premier affluent du Lot, un illustre inconnu aux yeux du grand public. Toute ressemblance avec le monde du cyclisme, ses courses et ses champions serait le fruit de divagations d’un cyclotouriste épuisé par une belle sortie à vélo !